LES ENQUETES DE VICTIMATION EN MILIEU SCOLAIRE: DISCOURS DE LA METHODE ET RESULTATS

 

Eric Debarbieux (*)

 

La violence en milieu scolaire est devenu un objet médiatique et un thème politique majeur au niveau mondial, suscitant souvent exagération et crainte. Dans plusieurs pays, des enquêtes officielles ont été mises en place, souvent largement dépendantes des sensibilités nationales et des fluctuations des politiques publiques. Quelque soit l’intérêt de ces enquêtes, nous en montrerons d’abord le caractère très insuffisant pour une connaissance fine de la fréquence du  phénomène. Le recensement des faits de violence dans les écoles a été initié par quelques pays suite à des pressions médiatiques ou syndicales : en Angleterre (Blaya, 2001), en Espagne (Moreno, 1998), ou en Allemagne (Funk, 2001) par exemple. Lorsque ce recensement a été fait, il n’a généralement pas donné lieu à un suivi régulier. C’est le cas en Angleterre avec les rapports Elton (Elton, 1989) et Gill et Hearnshaw (Gill & Hearnshaw, 1997). Il en est de même dans la plupart des pays européens, dont une recension récente montre le peu de régularité des statistiques produites par les autorités ministérielles (Smith, 2002)- seuls les USA procédent régulièrement à ce type d’enquêtes. Bref, inexistantes ou lacunaires, posant de sérieux problèmes de méthodes lorsqu’elles existent, les sources officielles ne permettent pas de prendre mesure de l’ampleur du phénomène. Elles sont d’autant moins pertinentes qu’elles dépendent largement des incitations hiérarchiques à les produire et de la peur – tout à fait légitime – qu’ont les écoles d’alimenter une mauvaise réputation par un trop grand nombre de signalements. Cette réputation par rapport à la violence est en effet devenu un élément clef du choix de l’établissement scolaire  par les familles (Ballion, 1991), et pas seulement en milieu social favorisé (Léger et Tripier, 1986).  Plus l’on signale de violence, plus le risque de faire fuir les derniers « bons éléments » devient fort.

La comparaison entre ces statistiques officielles et les enquêtes de victimation en milieu scolaire montre en effet un décalage spectaculaire. Plus loin, la comptabilité de la violence à l’école doit non seulement prendre en compte la fréquence du phénomène mais aussi son caractère répétitif, la « violence à l’école » étant bien plus le fait de microvictimations associées que d’événements majeurs, ce qui ne signifie pas, bien au contraire qu’il ne faut pas la prendre au sérieux.

Les enquêtes de victimation permettent de dresser un tableau nuancé de la situation, tout en montrant l’insuffisance des statistiques élaborées à partir des enquêtes officielles par déclarations administratives. Elles offrent en même temps une perspective méthodologique différente en montrant que la fréquence des victimations n’est pas une procédure suffisante pour qualifier les victimations subies, et encore moins pour évaluer leur évolution et l’efficacité des politiques publiques. Mesurer l’intensité, la répétitivité et l’association des victimations est sans doute plus important que la mesure de la simple fréquence. De même ces enquêtes permettent de mieux expliquer cette violence en mettant en lumière l’inégalité sociale devant le risque d’être victime mais aussi comment cette causalité large se combine à des effets locaux tout aussi explicatifs, ouvrant ainsi la voie à une réflexion sur les politiques publiques et sur les stratégies de proximité.

Cette communication s’appuiera sur les résultats de diverses enquêtes de victimation en France, aux Etats Unis et en Europe pour montrer concrétement l’interêt de ce type d’enquêtes mais aussi la nécessité d’une réflexion épistémologique approfondie pour ne pas « faire dire aux chiffres ce qu’il ne disent pas », c’est à dire pour ne pas minimiser l’expérience victimaire, ni d’ailleurs l´exagérer. Elles permettent aussi de dire ce qu’est réllement la « violence » en milieu scolaire.

La sensibilité de l’opinion publique à la violence des jeunes est souvent exacerbée par de tragiques faits-divers qui mettent en scène des « récits » de violence spectaculaire et sanglante. Le travail des chercheurs est aussi de démontrer, souvent avec un lassant sentiment de répétition, qu’il faut précisément résister aux tentations ultra sécuritaires qui s’alimentent des faits exceptionnels alertant l’opinion et les politiques. Le nombre de délinquants juvéniles auteurs de violence dure est en fait relativement réduit quoiqu’on en pense (Farrington, 1986). La délinquance des mineurs, entre autres à l’école, est essentiellement une petite délinquance de masse, usante, mais qui n’a rien à voir avec le spectacle sanglant et le grand banditisme. Après une remarquable revue de la question aux Etats-Unis, Denise Gottfredson peut d’ailleurs conclure que la victimation en milieu scolaire n’a guère évolué dans ses types entre ses premières études de 1985 (Gottfredson et Gottfredson, 1985) et les études plus récentes  (Gottfredson, 2001) : l’expérience personnelle de victimation est, autant pour les élèves que pour les enseignants, liée à des incidents mineurs, les victimations sérieuses sont très rares. Dès 1985 les Gottfredson affirmait que leurs enquêtes permettaient de conclure que le véritable problème dans les établissements scolaires tient à une haute fréquence de minor victimizations et d’incivilités (indignities) beaucoup plus qu’en une délinquance dure.

 

 

 

(*)Observatoire International de la Violence en Milieu Scolaire

Université Victor Segalen Bordeaux 2

UNESCO Brasil

 

 


Anais da 56ª Reunião Anual da SBPC - Cuiabá, MT - Julho/2004